Plusieurs demandeuses et demandeurs d’asile LGBTI+, membres d’Equinoxe, sont convoqué·e·s pour passer en visioconférence devant la CNDA. Une situation qui suscite, au sein de la Commission Internationale et Asile d’Equinoxe, une réaction des plus hostiles. Tribune leur est laissée ici.
Deux membres de notre association vont être auditionnés dans le cadre du dispositif de vidéo-audience mis en place par la CNDA (ndlr : Cour Nationale du Droit d’Asile, instance chargée de juger les décisions de l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) dans le cadre de la loi Asile et Immigration. La procédure supposée leur éviter le déplacement jusqu’à Paris, va laisser l’un d’entre eux seul devant la caméra, puisque son avocate ne se déplacera pas de la capitale jusqu’à Nancy. L’audience se déroulera donc, dans un dispositif orwellien, qui sacre la toute puissance de la technologie même là où elle n’a rien à faire – une juridiction – et le peu de cas fait de la personne humaine, là où elle devrait être centrale.
Sachant que l’immense majorité des refus de la CNDA sont justifiés par le fait que la cour aura jugé les déclarations du demandeur d’asile concernant son orientation sexuelle « peu crédibles et convaincantes » (sic), l’on est en droit de se poser les questions suivantes :
– par quel miracle la cour, président et assesseurs, siégeant à 300 kms du demandeur d’asile, va-t-elle pouvoir se forger la fameuse intime conviction et juger de l’orientation sexuelle d’une personne sans même un échange de regard, puisque c’est de cela qu’il s’agit ? Et pourra-t-elle en juger MIEUX?
– dans quelle mesure ce nouveau dispositif ne va-t-il pas renforcer l’obligation de stéréotypie déjà prégnante ? La plupart des personnes LGBTI que nous recevons à Equinoxe n’ont que très peu de choses en commun sur le plan de l’apparence avec les homosexuel·le·s californien·ne·s. En éliminant la présence physique de la personne en situation de demande d’asile, la CNDA ne se prive elle-pas d’un accès, aussi fugace et subtil soit-il, à l’intériorité de la personne du demandeur d’asile? Ce, au profit de la caricature, du show ?
– les demandeuses et demandeurs d’asile peuvent-ils être réduits à l’identité cisgenre surreprésentée par rapport aux autres communautés queer ? Les femmes LGBTI et à plus forte raison, les demandeuses d’asile subissent des discriminations doubles : elles ont pour rôle social mariage et procréation et ne possèdent aucun pouvoir social. S’attendre à ce que des femmes demandeuses d’asile LGBTI ayant subi mariage forcé, viol punitif ou correctif, excision, puissent parler fluidement , seules face à une camera, est irréaliste et humiliant.
– n’y a t-il pas quelque chose d’extrêmement choquant dans le fait qu’une personne soit obligée de parler de son intimité face à une caméra ? Même si les questions trop intimes ne sont pas posées, la question même de l’homosexualité est intime et délicate à évoquer, en particulier, pour des personnes issues de cultures souvent très conservatrices et imprégnées de moralité religieuse. De plus, une certaine culture de la masculinité « toxique » interdit aux hommes dès leur plus jeune âge de parler de leurs émotions, domaine culturellement réservé aux femmes. Il leur est déjà difficile de parler de sentiments amoureux pour d’autres hommes devant des personnes ayant autorité, qu’en sera-t-il devant une caméra ? Et ne sommes-nous pas là face à un dispositif qui accentue le voyeurisme de la situation, d’une youtubisation de la décision de justice, où l’on déciderait de liker ou non, voire du peep-show? Et à quand les algorithmes pour la reconnaissance faciale des émotions ou la détection de l’homosexualité?
– comment enfin les associations soucieuses des droits des personnes LGBTI et des droits humains en général peuvent-elles réagir et s’adapter pour préparer aux mieux les demandeurs d’asile à cette nouvelle donne encore plus arbitraire ? Devrions-nous à Equinoxe avoir une garde robe gay pour coller à cette toute puissance des apparences ? Des conseillers en communication audiovisuelle?
Pour des raisons fallacieuses (faire économiser aux intéressés l’argent du voyage jusqu’à la CNDA), le gouvernement a décidé d’expérimenter la vidéo-audience pour les auditions des demandeurs d’asile à Nancy et à Lyon. Ce dispositif, nous ne le voulons pas! Pour une raison évidente : la personnalité du demandeur d’asile est bien trop importante dans la prise de décision de la cour (à savoir, déterminer l’orientation sexuelle de demandeur) pour se passer de sa présence physique à l’audition.
Pour des personnes ayant survécu à des exactions physiques et à l’excommunication, il s’agit d’une perpétuation de la maltraitance, de la violence, faisant du président et des assesseurs des voyeurs de la détresse humaine. L’absence d’un interlocuteur humain à qui le demandeur d’asile pourrait exposer ses souffrances, nous choque. Ce dispositif par son idolâtrie béate des nouveautés technologiques et son culte de l’efficacité reflète bien la lente mise à mort des rapports humains dans notre société. C’est de ces rapports dont nous avons pourtant le besoin le plus urgent et non, sous le masque d’un nouveau joujou technologique, d’une régression de l’idée même de justice.
PG
Image. Source : http://www.cnda.fr/var/storage/images/media/tacaa/cnda/images/mieuxconnaitrelacnda/16003-2-fre-FR/mieuxconnaitrelacnda.jpg
Depuis la rédaction de ce texte, les visioconférences ont suscité une véritable fronde parmi les avocat·e·s. Elles ont été suspendues… « jusqu’à nouvel ordre ». Affaire à suivre donc.