Monsieur le Maire de Nancy,
Monsieur le Vice-président du Conseil départemental,
Monsieur le Représentant du Conseil Régional,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les responsables associatifs,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes le 1eraoût 2003 et il fait nuit.
Depuis quelques mois, des adolescents – collégiens certains – viennent ici, avec leurs scooters, près de cette butte. C’est un lieu fréquenté par des hommes homosexuels.
L’Est Républicain, le 31 décembre 2006, précise : « Ils choisissaient leurs cibles. » Plus loin : « Un ou deux membres du groupe demandaient une cigarette à la cible choisie, afin de s’assurer que cette personne était homosexuelle. Ils fondaient leur jugement sur sa façon de parler, de se mouvoir et de se parfumer. Lorsqu’il leur paraissait que tel était bien le cas, ils se mettaient immédiatement à frapper leur victime. Les autres membres du groupe, dissimulés dans les buissons, surgissaient et venaient prêter main forte à leurs copains. Plusieurs victimes avaient été précipitées dans le canal. »
Deux attaques ont été recensés : le 27 mars et le 6 juillet. En tout, sept adolescents sont impliqués.
Nous sommes le 1eraoût 2003 et il fait nuit.
Jean-Pierre Humblot est ici, dans ce lieu de rencontres. Il a décidé d’y venir pour y rencontrer ses amis. Il marche le long du chemin de halage. Deux de ces adolescents en scooters approchent et croisent sa route. Ils le reconnaissent : ils ont coutume de l’affubler du sobriquet méprisant de « Zaza ». L’un d’eux lui assène un coup de pied. Jeannot trébuche, tombe à l’eau et se noie.
Les assassins repartent, sans se retourner, probablement en riant, comme en attestent leurs déclarations aux assises.
Nous sommes le 1eraoût 2019 et il fait encore nuit.
Nous sommes réunis ici pour commémorer l’anniversaire de la mort de Jean-Pierre Humblot, personne transgenre assassinée il y a seize ans.
Aujourd’hui en France, nous déplorons chaque semaine au moins une nouvelle agression contre une personne LGBTI. Ces violences quotidiennes s’enracinent dans les préjugés et les stéréotypes, prennent la forme des quolibets et des moqueries, des menaces et des injures, des discriminations et des attentats à la vie privée, le rejet familial et la mise à la rue d’enfants, les viols et les passages à tabac, parfois à mort. Elles peuvent conduire à la dépression et au suicide.
Rappelons-nous que les agresseurs de l’été 2003 sont les enfants de l’École publique. Depuis lors, l’Éducation nationale a certes développé des dispositifs de lutte contre les haines antiLGBTI dans et par l’École de la République. Cette mobilisation est toutefois tardive et demeure insuffisante. Le suicide demeure en effet la première cause de mortalité chez les jeunes LGBTI. Nous appelons donc toutes les autorités responsables de l’éducation de notre jeunesse à engager tous les moyens possibles pour renforcer cette mobilisation.
Refusons également de nous cantonner à une approche purement locale ou hexagonale. Dans onze pays, l’homosexualité est passible de la peine de mort. Dans 72 autres États, l’homosexualité relève de la législation pénale. Les personnes LGBTI y sont pourchassées, passées à tabac, parfois violées ou tuées par des foules haineuses. Lorsque ces personnes sont mises au fer, c’est l’enfer qui leur est réservé en prison. En raison de ces persécutions mortelles, des dizaines de milliers de personnes LGBTI sont contraintes de dissimuler leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, voire de s’exiler lorsque le Public prend connaissance de leur identité.
Nous sommes le 1eraoût 2019 et il fait encore et toujours nuit.
Cette année, des personnes LGBTI+ ont perdu la vie dans les eaux de la Méditerranée, dans la glace des cols alpins, sont réduites en esclavage en Libye, sont pourchassées et passées à tabac au Nigéria, sont enfermées et torturées dans des camps de concentration en Tchétchénie. Quand elles peuvent fuir et lorsqu’elles parviennent sur notre territoire, vient le temps de la précarité, de la procédure d’asile complexe et parfois expéditive, des expulsions.
Associations, représentantes et représentants politiques, militantes et militants de la société civile, la mémoire de Jean-Pierre Humblot nous appelle à prendre la mesure de notre responsabilité individuelle et collective face au fléau de la haine anti-LGBTI, pour lutter contre la haine LGBTI partout, en France, en Europe et dans le monde.
Ensemble, prenons la mesure de ce que ce dont ce lieu est le témoin depuis maintenant seize ans. Que ce travail de mémoire conduise chacune et chacun à prendre la mesure de notre responsabilité collective. Pour que le jour se lève enfin.
Je vous invite à une minute de silence à la mémoire de Jeannot.
Kévin Galet