Éditorial de la lettre d’information n°3 de septembre 2020
Pendant la crise sanitaire, le Président de la République avait promis le retour aux “Jours Heureux”. En cette rentrée 2020, on ne peut que constater avec inquiétude que l’écart se creuse à toute vitesse, entre la générosité des discours et la pingrerie des actes.
Loi bioéthique : un peu de progrès, beaucoup de conservatisme
De son côté, la loi bioéthique continue son bonhomme de chemin entre navette parlementaire et commission spéciale.
Dès le départ, le projet de loi était traversé de contradictions. La PMA y était enfin ouverte aux femmes lesbiennes et célibataires, mais à des conditions inacceptables. Certes, le gouvernement a finalement reculé sur cette idée saugrenue de “déclaration anticipée de volonté” (qui construisait un “régime spécial” de filiation pour les femmes lesbiennes). Mais une odeur de conservatisme imprègne encore largement ce texte !
Ainsi, le Ministère de la Santé a fait valoir l’exigence de poursuivre la politique de transphobie d’État : “Nous restons sur la notion d’homme et de femme tel que cela figure à l’état civil”, déclarait Agnès Buzyn. Comble de cynisme transphobe, les hommes transgenres devront donc choisir entre le droit à l’identité et le droit d’accéder aux services de santé procréative, à égalité avec leurs concitoyen·nes. Inacceptable pour nous, qui nous battons pour mettre fin aux discriminations qui frappent les personnes transgenres en France.
Pire ! Ce projet de loi prétend moraliser le système de santé d’un côté mais, de l’autre, le laisse mutiler en toute bonne conscience. Les médecins pourront en effet continuer à mutiler et à administrer des traitements hormonaux abusifs aux enfants intersexes. Quand la question est posée au gouvernement, il fait la sourde oreille en répétant la position (intersexophobe) des autorités sanitaires. Tant pis si les institutions internationales font valoir l’exigence éthique de mettre fin, et de toute urgence, à ces mauvais traitements !
Sur le front du don du sang, la non-discrimination des personnes homosexuelles et bisexuelles (« HSH* ») dans le circuit transfusionnel ne sera pas inscrite au bilan miteux de ce quinquennat. Après le cinéma médiatico-parlementaire des amendements traquenards, Olivier Véran (ministre de la Santé) a sifflé la fin de la récréation en rappelant ses prérogatives : c’est lui – et lui seul – qui signe les arrêtés ministériels.
Après tout, il en va de la « sécurité » des receveurs : tant pis si le présupposé initial de cette exclusion est homophobe, tant pis si bien des États se sont engagés dans la voie de la non-discrimination entre les donneurs depuis longtemps, sans que les données de ces expériences ne soient prises en compte par le ministère de la Santé (sur ce sujet comme sur d’autre, on ne convoque l’Europe que quand ça nous chante !). Pour justifier son immobilisme, Olivier Véran (ministre de la Santé) s’est appuyée sur l’expertise boîteuse de son administration en répétant – la bouche en cœur – la position du Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire d’avril dernier : un alignement possible, selon les données scientifiques, “à horizon 2022”. Sur le don du sang comme sur le reste, l’égalité n’est donc pas pour demain.
Si la loi bioéthique apporte des progrès incontestables (et doit, à ce titre, être soutenue), nous n’en sommes pas dupes : ces progrès sont engoncés dans un carcan conservateur et inégalitaire, qui écarte des sujets essentiels et consacre en sous-main les principes du système en place. Les archaïsmes de notre droit de la filiation et de notre système de santé, la transphobie, l’intersexophobie et l’homophobie d’État s’en tireront donc sans une égratignure. A moins que les associations LGBTI ne parviennent à se mobiliser suffisamment et à engager un rapport de force avec ce gouvernement, l’égalité des droits ne s’est toujours pas frayée un chemin jusqu’à l’Élysée.
“Séparatisme”
Alors que les promesses des Jours Heureux et de son cortège de cerisiers en fleurs s’éloignent, viennent les campagnes d’extrême-droite : le “patriotisme républicain” (plutôt que le contrat social), la dénonciation du “séparatisme” (plutôt que le souci du vivre-ensemble), le droit au “blasphème” (plutôt que l’affirmation de notre liberté d’expression contre l’intégrisme et l’obscurantisme religieux). Les ayatollahs du sexisme officiel, les thuriféraires de l’exclusivisme de la sacro-sainte famille française, ne sont pas concernés.
Sur le fond, l’attachement à la liberté d’expression, au souci de vivre-ensemble ou à l’exigence d’unité républicaine – qui sont finalement de grands classiques du consensus républicain – ne posent pas vraiment problème. Mais les mots utilisés pour les dire ont un sens et une connotation. Alors que s’amoncèlent les nuages à l’horizon, en pleine crise sociale et sanitaire qui laisse des millions de gens sur le carreau, de telles campagnes ne sonnent à nos oreilles que comme des resucées acides des campagnes vociférantes du Rassemblement National.
Dans un tel contexte, nous avons plus que jamais besoin d’une mobilisation de solidarité sociale et sanitaire. Équinoxe et les associations membres de la Fédération LGBTI poursuivront leur action avec détermination en faveur de l’égalité des droits. Comme nous le disons depuis plus d’une décennie : nos revendications ne sont pas de modestes faveurs dont nous supplions à nos maîtres qu’elles nous soient accordées. Ce sont de justes droits. Et de juste droits ne se quémandent pas, ils se conquièrent !
Le mois de septembre est donc l’occasion pour chacune et chacun de se tourner vers l’engagement collectif.
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*HSH : hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes